jeudi 6 novembre 2014

Elle avait la mémoire qui flanche

Elle ne me reconnaît plus.
Ça fait bien longtemps que sa mémoire s'est envolée au vent de l'âge.


Ses doigts noueux comme les racines d'un vieil arbre se croisent.

Elle attend! Elle attend patiemment quelque chose... Peut-être quelqu'un?

Elle attend peut-être de s'éteindre tout simplement comme le ferait une mèche de bougie, un soir d'hiver.

Comme la bougie, elle est arrivée au soir de sa vie, mais alors que d'autres, se remémorent ce qui les ont fait vivre, elle semble perdue, le regard vide.

Hier si vive, intelligente, pleine d'esprit...Aujourd'hui, prisonnière d'un esprit qu'elle ne maîtrise plus. Elle s'est perdue dans le labyrinthe de sa mémoire et ne retrouve plus son chemin.

A part la tournée des soignants chaque jour et la visite de plus en plus espacée de ses petits-neveux, son quotidien est des plus banals.

Comme bénévole au sein d'une association de visites à des malades, j'ai été amené à la rencontrer.

Certains jours, elle me prend pour l'un des aide-soignants qui s'en occupe, parfois pour un membre de sa famille. A chaque fois, il faut recommencer la relation comme si c'était la première fois.

Lorsqu'il fait beau, je la promène dans le magnifique parc qui entoure l'unité o`u sont hébergées- je n'ose dire, soignées- les personnes comme elle. S'il pleut ou s'il fait un peu plus froid, nous restons à l'intérieur et nous déambulons dans les couloirs du service.

Sa famille lui a apporté quelques objets et des photos, afin qu'elle se sente un peu comme chez elle. Parfois, une lueur éclaircit son visage, comme si elle se rappelait quelque chose et puis son regard redevient vide, quelques minutes après. Elle possède également quelques albums ou sont conservées des photos quand elle était jeune, mais elle effleure le papier glacé de ses mains ridées, comme si elle cherchait un indice, mais n'y trouve bien souvent rien.

Lorsque je prends congé d'elle, un double sentiment m'envahit. Le premier, celui d'avoir été quelque peu utile et d'avoir pris du plaisir à rendre visite à cette vieille dame, qui m'a-t-on dit, fut autrefois une célèbre cantatrice. Le deuxième, emprunt de tristesse, celui de contempler cette dégradation que le temps fait à chacun d'entre-nous.

Et puis un jour, lors de l'une de mes visites, je découvre la chambre vide, le lit fait et toutes les photos et effets personnels, partis, envolés.
Je croise une aide-soignante et lui demande:
- O`u donc est passée la vieille dame qui vivait ici...Vous savez, celle qui avait la mémoire qui flanche ?
Elle me répond qu'elle est partie cette nuit, tout doucement comme la flamme d'une bougie à l'hiver de sa vie.

Dehors il neige à gros flocons. Dans quelques jours, nous fêterons Noël. On va célébrer la naissance d'un enfant, alors qu'au même moment, une vieille dame -dont presque plus personne ne se souvenait- vient de mourir. Il paraît que c'est ça la vie !

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